Pour citer cette fiche

Hirsch, S. (2021). Comment aborder les thèmes sensibles en classe ? Des outils pour enseignants et enseignantes. Ce que nous apprend la recherche (CRIFPE), 1(7). https://doi.org/10.18162/cqnalr.2021.1.7

Quels défis rencontrent les enseignants et enseignantes du primaire à universitaire lorsqu’ils veulent aborder des enjeux controversés en classe faisant l’objet d’un débat social ? Les récentes dénonciations publiques d’enseignant.e.s qui utilisent des termes qui sont tabous pour d’autres et le débat autour de la question des limites de leur liberté académique qui a suivi en sont de bons exemples.

Ces défis sont au centre des préoccupations des chercheurs en éducation qui documentent depuis plusieurs années les approches pédagogiques traitant des Questions Socialement Vives (QSV), non seulement dans la société, mais aussi au sein des savoirs de scientifiques et scolaires. D’autres chercheurs analysent les controverses sociotechniques qui abordent des aspects techniques ou scientifiques non stabilisés dans un contexte de débat environnemental, social, juridique, politique. Dans les deux cas (?), les défis pédagogiques semblent être désormais généralisés à toutes les disciplines et à tous les contextes scolaires, à un tel point que l’« on ne peut plus rien dire », s’inquiètent certains. C’est pour cela que nous utilisons plutôt le terme « thèmes sensibles ».

Certains événements de l’actualité, que cette dernière soit nationale ou internationale, nous touchent, nous inquiètent, nous bouleversent, nous découragent même. Pensons, par exemple, à l’assassinat de Samuel Paty, ce professeur français qui avait présenté des caricatures de Muhammad en classe pour discuter de la liberté d’expression. De tels événements questionnent nos valeurs et nous interpellent en tant que parents, citoyens et intervenants en milieu scolaire. Inévitablement, nous sommes perplexes devant la nécessité de revenir sur ces événements avec les élèves. Faut-il nécessairement en parler ? Si oui, comment éviter les dérives, contourner les écueils ? Comment s’assurer de composer avec les différents points de vue qui pourraient être émis ? Quelle posture adopter ? Y a-t-il des précautions à prendre pour prévenir les débordements éventuels ?

Nos diverses recherches sur l’enseignement des thèmes sensibles le montrent : la liste de ces thèmes s’allonge et comprend non seulement les sujets habituels comme la religion, la sexualité, le racisme et les réalités autochtones, mais aussi la violence sous toutes ces formes ou encore diverses idées complotistes.

Les milieux scolaires de plus en plus diversifiés expliquent probablement en grande partie cette sensibilité croissante. Qu’elle soit ethnoculturelle, religieuse, linguistique, politique, idéologique ou autre, cette diversité engendre des milieux peu homogènes en ce qui a trait à la vision du monde de ceux qui s’y rencontrent. À cela s’ajoute le fait que les personnes « issues des diversités » l’assument de plus en plus. Elles ne tentent plus forcément de se fondre dans la majorité et à lui ressembler à tout prix, mais revendiquent au contraire le droit d’être différentes.

QUELS THÈMES SONT SENSIBLES ?

C’est dans ce contexte qu’il faut essayer de comprendre ce qui fait qu’un thème devient sensible. Nos divers travaux montrent que les thèmes sensibles comportent quatre caractéristiques principales :

  1. Ils touchent les valeurs et les représentations sociales

    La première caractéristique d’un thème sensible est qu’il touche les valeurs et les représentations sociales des élèves comme celles de leurs enseignant.e.s. Autrement dit, c’est leur vision de la manière de vivre ensemble qui est confrontée. L’enseignement des génocides bouleverse ainsi les esprits de ceux qui s’y attardent : il rappelle que l’être humain est capable de commettre d’horribles crimes contre ses semblables. L’éducation à la sexualité peut également confronter la manière de voir l’amour, la famille, mais aussi soi-même et sa place dans la société. Ces exemples nous confrontent à des tabous, des « interdits » sociaux qu’on ne veut pas accepter comme possibles et qu’on n’a pas l’habitude de remettre en question. Or, dans une société plurielle, les tabous ne sont pas toujours partagés par tous. C’est alors, par exemple, qu’on voit apparaître des conflits sur les mots tabous pour les uns, qui ne le sont pas pour les autres...
  2. Ils suscitent un débat

    Ce débat peut porter sur la définition des termes utilisés (par exemple : qu’est-ce qu’un génocide ?) ou sur le fait de les aborder en classe et la meilleure manière de le faire (par exemple : faut-il parler des génocides en classe ? faut-il les comparer ?). Il peut s’enflammer aussi bien lors des discussions entre les experts (pédagogues, historiens, juristes, etc.) qu’entre les membres de la société ou en classe. Toujours dans un contexte pluriel, il est difficile de prévoir ce débat en classe, mais son traitement contribue directement à la formation des jeunes en leur permettant de bien saisir ses enjeux inhérents dans un contexte favorisant les échanges et la réflexion commune.
  3. Ils sont d’actualité

    Les thèmes sensibles font partie de l’actualité de diverses manières. Certains évoquent directement des événements d’actualité, comme des actes de violence tels que des attentats ou des tueries, alors que d’autres abordent des enjeux sociopolitiques contemporains en lien avec des événements moins récents, comme les génocides ou l’esclavagisme. Lorsqu’un thème fait partie de l’actualité, il est souvent plus difficile de prendre une distance critique avec ses propres idées, et plus encore avec ses émotions, et d’en faire une analyse « rationnelle ». Le contexte de polarisation sociale actuelle, dans lequel il n’y a pas de réelle ouverture à changer d’avis, ne fait qu’aggraver cette difficulté à discuter en classe autour de thèmes sensibles.
  4. Ils sont complexes

    La quatrième caractéristique des thèmes sensibles est leur grande complexité, nécessitant un traitement qui aborde divers repères historiques, politiques, sociaux et éthiques pour comprendre les enjeux inhérents à ces thèmes. En d’autres mots, ces thèmes ne peuvent se résumer par de simples réponses de « oui » ou de « non ».

POURQUOI ABORDER LES THÈMES SENSIBLES ?

De nombreux enseignant.e.s préfèrent les éviter, d’abord parce qu’ils se sentent mal préparés, mais aussi parce qu’ils ne sont pas certains de pouvoir assurer un bon climat en classe. De plus, ces dernières années, ils s’inquiètent d’être frappés par des sanctions disciplinaires, même si c’était déjà la réalité auparavant comme le montrent Waddington et McDonough (2017).

Il reste que l’étude de ces thèmes non seulement intéresse et même motive les jeunes, mais semble aussi contribuer à leur éducation à la citoyenneté (Hess et Mcavoy, 2015). Plus encore, le traitement des thèmes sensibles permet à l’école de jouer ses missions d’instruction et de socialisation, en amenant les élèves à mieux comprendre les enjeux qui font débat en société, tout en faisant la promotion des « valeurs à la base de la démocratie et [en veillant] à ce que les jeunes agissent, à leur niveau, en citoyens responsables » (MEQ, 2003, p. 5).

DES OUTILS PÉDAGOGIQUES

Nos divers projets de recherche sur les thèmes sensibles visent à mieux comprendre ces derniers et à proposer des outils visant à offrir un soutien pédagogique pour leur enseignement. Ainsi, nous avons conçu un guide pédagogique sur les thèmes sensibles qui présente une démarche générale, à laquelle s’ajoutent des guides plus spécifiques qui présentent des contenus sur différentes minorités historiques, religieuses et culturelles au Québec. Enfin, un projet en cours permettra, à partir des récits de pratiques des professeurs universitaires, de mieux comprendre les défis qu’ils rencontrent et de proposer une formation adaptée à leurs besoins.

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Photo de Sivane Hirsch

Sivane Hirsch

Professeure titulaire
Université Laval

  • Thèmes sensibles

En savoir plus

  • Ministère de l’Éducation (2003). Programme de formation de l’école québécoise - Enseignement secondaire, premier cycle.
  • Hess, D.E., & McAvoy, P. (2014). The Political Classroom: Evidence and Ethics in Democratic Education (1st ed.). Routledge. https://doi.org/10.4324/9781315738871
  • Hirsch, S. (2017-2020). Le traitement des thèmes sensibles liés à des marqueurs religieux dans le cadre du cours Éthique et culture religieuse : pratiques et défis des enseignants. Programme Établissement de nouveaux professeurs-chercheurs : Fonds québécois de recherche - société et culture.
  • Hirsch, S., Moisan, S., Audet, G., & Jeffrey, D. (2018-2020). Le traitement des thèmes sensibles dans le cours d’Éthique et culture religieuse et d’Histoire : pratiques des enseignants : CRSH Développement savoir.