Pour citer cette fiche

Tardif, M. (2020). Le rôle crucial des directions d’établissement dans la persévérance des nouveaux enseignants et enseignantes. Ce que nous apprend la recherche (CRIFPE), 1(2). https://doi.org/10.18162/cqnalr.2020.1.2

« Le taux de précarité au sein de la profession enseignante se maintient autour de 40 % à 45 % à l’éducation générale des jeunes depuis les années 1980... »

Au Québec, il est devenu de notoriété publique que l’insertion des nouveaux enseignants et enseignantes dans la profession est particulièrement difficile. Selon une étude du Service des indicateurs et des statistiques du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (Létourneau, 2014), environ 30 % d’entre eux quittent la profession après à peine deux ans de pratique; au bout de cinq ans, ce pourcentage frôle les 50 %. Ce décrochage massif des nouveaux enseignants explique en bonne partie les problèmes de pénurie de main-d’œuvre enseignante vécus dans plusieurs régions de la province ces dernières années. Par ailleurs, depuis vingt ans, on observe une hausse importante du nombre d’enseignants non permanents. De manière générale, le taux de précarité au sein de la profession enseignante se maintient autour de 40 % à 45 % à l’éducation générale des jeunes depuis les années 1980; il est d’environ 75 % à la formation professionnelle au secondaire et à l’éducation des adultes, cette dernière étant surtout aujourd’hui la continuité du cours secondaire pour les élèves qui l’ont échoué ou abandonné.

Bref, ces quelques données indiquent que l’accès à la profession est souvent semé d’embûches pour les nouveaux diplômés en enseignement et que beaucoup trop d’entre eux abandonnent la profession, ce qui représente pour la société québécoise un coût humain et économique très élevé, sans parler des impacts négatifs de ce phénomène sur la qualité de l’apprentissage des élèves. Il n’existe pas bien sûr de recettes miracles à cette situation problématique, à laquelle sont d’ailleurs confrontés plusieurs pays et d’autres provinces canadiennes, notamment l’Alberta et la Colombie-Britannique. Cependant, tant du côté de la documentation internationale que de la recherche québécoise, il apparaît clairement que les directions d’établissement ont un rôle crucial à jouer pour soutenir et retenir les nouveaux enseignants dans la profession. Fondamentalement, ce rôle consiste à accueillir, à suivre et à aider les nouveaux enseignants, y compris ceux à statut précaire, tout au long de leur processus d’insertion. Voici quelques-unes des principales initiatives identifiées dans la documentation qui semblent favorables à la rétention des nouveaux enseignants. Toutes ces initiatives ne doivent pas être vues comme des moyens ponctuels, mais comme des jalons dans le développement professionnel à long terme des nouvelles générations d’enseignants.

  • Les directions peuvent mettre en place dans leur établissement un programme d’insertion professionnelle afin que l’accueil des nouveaux collègues devienne une responsabilité collective de toute l’équipe-école. De tels programmes existent déjà dans certaines commissions scolaires et certains établissements, mais ils sont encore trop peu nombreux.
  • Sous le leadership pédagogique de la direction, l’équipe-école peut se doter d’une charte précisant les valeurs de l’établissement qui serviront à orienter l’insertion des futurs collègues : intégrer des enseignants n’est pas en effet seulement une affaire technique ou de routines organisationnelles, mais un projet professionnel orientépar des valeurs partagées entre les enseignants et les autres acteurs scolaires.
  • Lorsque cela s’avère possible, les directions, en concertation avec l’équipe pédagogique, devraient décharger les enseignants débutants des groupes les plus difficiles et des tâches les plus lourdes.
  • Cet allégement de la tâche (sur les plans qualitatif et quantitatif) gagne à être couplé à des mesures d’insertion appropriées pour faciliter leur acculturation au métier et aux contextes de travail. Par exemple, après avoir sondé les nouveaux enseignants, la direction pourrait mettre en place, s’ils en expriment le besoin, des formes de mentorat assurées par un personnel enseignant chevronné pouvant comporter notamment des observations en classe, du co-enseignement, de l’analyse de pratiques et des études de cas. La direction peut également conseiller les débutants dans la gestion du quotidien (gérer la multitude de tâches, surtout quand on a une tâche lourde, éclatée) et les aider à s’organiser de manière efficace et à savoir prioriser, ce qui n’est pas évident quand on n’a pas d’expérience.
  • La formation initiale ne peut préparer à tous les aspects variés et complexes du travail enseignant. Il est donc essentiel de considérer l’insertion comme une nouvelle phase d’apprentissage, qui vient compléter et enrichir la formation initiale. Dans cet esprit, les directions pourraient, s’ils en expriment le besoin, offrir aux nouveaux enseignants du perfectionnement professionnel dans l’établissement, notamment en gestion de classe, avec les élèves en difficulté d’apprentissage et de comportement, etc. Ce perfectionnement professionnel pourrait se faire en concertation avec les commissions scolaires et des réseaux d’établissements.
  • Plusieurs établissements ont mis en place ces dernières années des communautés d’apprentissage professionnelles qui sont souvent pilotées par les directions et auxquelles participent les enseignants ou une partie d’entre eux. Y inviter les nouveaux collègues semble une formule gagnante, car elle permet de les intégrer à l’équipe-école et de les familiariser rapidement avec les stratégies pédagogiques des enseignants chevronnés ainsi qu’avec la culture de l’établissement.
  • Finalement, dans une recherche réalisée au Québec, une équipe suit depuis quatre ans une cinquantaine de nouveaux enseignants qui sont en train de s’intégrer à la profession. Étant très majoritairement à statut précaire, ces personnes ont enseigné ces dernières années dans plus de 400 établissements scolaires primaires et secondaires du Grand Montréal. Or, elles insistent toutes sur la nécessité d’établir une bonne communication avec les directions d’établissement, ce qui n’est pas toujours le cas, tant s’en faut! Au fond, les attentes des nouveaux enseignants envers les directions sont assez simples : ils souhaitent que les directions prennent la peine de se déplacer pour les rencontrer, de s’entretenir avec eux et leur présenter le fonctionnement de l’établissement et l’équipe-école; ils s’attendent à être traités avec équité et respect, et non pas jugés de manière péremptoire à la moindre erreur; enfin, ce qu’ils apprécient le moins, c’est d’être réduits au rang de numéro sur une liste de rappel et d’être considérés trop souvent comme une main-d’œuvre corvéable et jetable après usage.

Au final, il semble clair que les enseignants et enseignantes ont vraiment besoin de l’appui des directions lorsqu’ils débutent dans leur carrière, souvent dans des conditions de travail difficiles, comme on l’a vu. Informer, rassurer, leur témoigner de la confiance, valoriser leur travail et promouvoir une culture d’entraide sont tous, pour les directions, des moyens à la fois simples et efficaces pour soutenir et retenir les nouveaux enseignants dans la profession.

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Maurice Tardif

Professeur émérite
Université de Montréal

En savoir plus

  • Létourneau, E. (2014, mai). Démographie et insertion professionnelle : une étude sur le personnel enseignant des commissions scolaires du Québec. Communication présentée au Congrès de l’Acfas, Montréal, QC. Repéré à http://www.ciqss.umontreal.ca/Docs/Colloques/2014_ACFAS/Esther%20L%C3%A9tourneau.pdf
  • Normand, R. (2010). Le leadership dans l’établissement scolaire. Un nouveau partage des rôles et des responsabilités entre chef d’établissement et enseignants. Administration et éducation, (125), 188-193.
  • Pont, B., Nuche, D. et Hopkins, D. (dir.) (2008) Améliorer la direction des établissements scolaires : études de cas sur la direction des systèmes (vol. 2). Paris : OCDE.